Question de Perspective 9 – Prise de décision, le monde de l’entreprise peut-il s’inspirer des méthodes de l’armée ? : La préparation au combat
Prise de décision et tactique « au front », le monde de l’entreprise peut-il s’inspirer des méthodes de l’armée ?
Après notre 💡QUESTION DE PERSPECTIVE sportive aux côtés du coach de rugby international Karim Ghezal , nous avons souhaité questionner un tout autre monde, celui de l’armée.
Comment lors d’un combat se prennent les décisions tactiques ? Comment gérer la pression ?
Surtout, et c’est en cela parfaitement proche du monde de l’entreprise ; comment mobiliser son « unité » pour lui faire atteindre un but commun ? Qu’il soit entrepreneurial ou militaire…
Ces interrogations sont celles des notaires mais aussi des entrepreneurs que nous sommes, partageant les mêmes problématiques que nos clients.
Toute l’équipe ALCAIX s’est donc réunie pour entendre et partager les regards de Guillaume Malkani officier de l’armée de Terre et Louis Saillans, ancien officier des commandos Marine et fondateur de l’association Vétérans de France ⚔️🇲🇫
Ensemble, ils ont co-écrit le livre éponyme « Vétérans de France, ceux qui ont servi », sorti aux éditions VA en septembre dernier. « Ce livre valorise les vétérans de tous les conflits et de tous les âges. Les héros des forces spéciales comme les héros d’unités dites plus conventionnelles ; pour faire de leur voix le patrimoine mémoriel du soldat de France » nous confient-ils.
Messieurs, comment se prépare-t-on dans les armées, à résister à la pression d’un combat ?
Louis Saillans : « On dit souvent que 70% de la mission tient dans sa préparation. C’est cette phase qui nous permet de nous conditionner, nous préparer à anticiper l’adversaire. Pour l’entreprise il s’agira d’anticiper le client, le concurrent, ou la conférence. Pour être prêt. La préparation permet de garder son sang-froid et son calme. »
Guillaume Malkani : « Dans l’armée dite régulière, nous ne sommes jamais déployés avant d’être préparés sur plusieurs séquences, plusieurs dizaines de jours.
La phase de préparation tactique nous permet par exemple de simuler le combat, de beaucoup tirer. Nous avons aussi des phases de pilotage en véhicule, du secourisme au combat, etc. La préparation se fait tout au long de l’année avec du terrain. Cela nous permet de nous entraîner, mais aussi de nous connaître entre nous, et c’est important.
Une fois sur place, malgré la fatigue, la pression devient positive. Elle nous pousse à nous dépasser, à savoir anticiper, comme l’évoque Louis.
C’est bien l’anticipation qui apporte de la sérénité. Celle que l’on a acquis en nous préparant, mais aussi celle des chefs qui savent voir le futur parce qu’ils ont tout anticipé. Dans l’entreprise, le dirigeant s’il suit le même schéma, doit savoir décliner sa vision en stratégie pour l’instant T mais aussi pour les années à venir. Cela rassure. »
Louis Saillans : « Dans l’armée, nous possédons des centres de stratégies, avec une équipe dédiée à la manœuvre future ; donc à l’anticipation. Le chef est occupé à anticiper le futur, les équipes à faire en sorte que cela marche. »
Vous nous parlez de stratégie, d’anticipation. Comment s’élabore une décision, un « ordre » destiné aux troupes sur le terrain ?
Guillaume Malkani : « La méthode d’élaboration d’une décision tactique est en effet un sujet très important chez nous. Nous avons même des cycles d’enseignement à l’école militaire au profit des grandes entreprises pour expliquer la manière dont un ordre est élaboré.
Il y a l’ordre tel que le soldat le prend sur le terrain en quelques secondes, parce qu’il est confronté à l’action ; mais ce qui est intéressant c’est aussi la méthode de réflexion et de décision collégiale en amont.
Dans l’institution militaire, il s’agit d’un cheminement long, de plusieurs heures, autour d’un centre d’opérations composé de dizaines de personnes chargées d’apporter chacune une partie bien précise de la réponse. L’un doit identifier la manœuvre ennemie, l’autre la manœuvre des amis, la manœuvre logistique, les effectifs, etc. Un chef d’orchestre synthétise tout cela, présente les hypothèses au grand chef, pour que lui élabore l’ordre. Naturellement, celui-ci peut également être très rapidement produit, selon la situation. »
Louis Saillans : « Le cycle de réflexion tactique est une machine bien huilée. L’ordre du supérieur est ensuite décliné aux différents subordonnés et différents échelons de la chaine de commandement. Quand le soldat sur le terrain reçoit l’ordre, il a été adapté, réadapté… et préparé à toutes les éventualités que nous appelons les « cas non conformes. Par exemple ? L’ennemi n’est tout simplement pas là, qu’est-ce que je fais de l’ordre ? »
Du « grand chef » au soldat, comment s’assurer que cet ordre restitué de nombreuses fois garde son essence ?
Guillaume Malkani : « Quand le général de la brigade donne un ordre, les colonels – chefs de corps – qui commandent le régiment vont tous décliner l’ordre et le faire descendre aux commandants d’unité, qui vont eux-mêmes le décliner et l’interpréter au profit de leurs chefs de section et leurs soldats.
Et à chaque fois que les ordres sont déclinés, ils sont officiellement édités. Avec une sorte de note de service – jusqu’à un certain seuil naturellement.
D’un échelon à un autre, tout est contrôlé puisque chacun produit ses propres ordres. C’est ce que l’on appelle le plan d’action. A la charge du capitaine de s’assurer que dans sa compagnie, le plan descend jusqu’à chacun des soldats.
Quel est l’intérêt de cette manœuvre ? Les ordres deviennent fluides, puisqu’à chaque fois, ils sont réinterprétés pour l’échelon du dessous ET l’on a vérifié qu’ils étaient compris.
C’est une structure qui monte très haut et descend très bas. »
Louis Saillans « Si nous devions faire le parallèle avec le monde de l’entreprise, nous remarquons, moi qui suis à présent dans le civil et impliqué dans l’accompagnement des entrepreneurs, qu’il y a un manque de réflexion stratégique dans nombre d’entreprises françaises. La réflexion amont est primordiale dans le monde militaire, alors que beaucoup d’entrepreneurs se lancent sans certitude et par seule opportunité dans un business, sans point de rentabilité, sans vision à 5, 10, 20 ans.
Un militaire, si on lui donne 6 h pour abattre un arbre, il va passer 5 h à aiguiser sa hache. Et c’est la bonne réflexion à avoir. L’essentiel de la méthode, c’est l’anticipation comme nous l’évoquions précédemment.
La véritable différence se tient peut-être dans une ressource extrêmement précieuse dont nous disposons au sein de l’armée : le temps. Le temps d’expertiser les autres opérations militaires similaires, les modes d’action déjà utilisés, les résultats, etc.
Pour faire le parallèle, nous étudions les concurrents et le marché, en allant plus loin que le business-plan classique, qui reste assez superficiel. Avec cette méthode, nous évitons de nombreuses déconvenues. Parce que dans l’armée, le chef a toujours du recul. »
Cet ordre n’est donc pas seulement une décision, mais plus largement une véritable vision ?
Louis Saillans : « Exactement. Le chef apporte une vision qui doit à chaque instant permettre à tout opérateur sur le terrain de gérer un problème, tout en sachant quel est l’objectif. C’est cette relation d’évidence entre la vision et l’objectif qui est importante.
Prenons une troupe qui doit encercler un village et le prendre par la colline. L’objectif est-il de contrôler le village ? Ou bien est-ce de prendre la colline ? Si le chef m’a dit de prendre la colline, alors je peux m’affranchir de prendre le village, ou est-ce que je dois prendre la colline avec un accès sécurisé qui passe par le village ?
Sur le terrain, le chef de groupe sait quelles sont les étapes obligatoires et l’objectif final. La vision du chef dans l’armée est « coiffante » et elle est surtout intelligible pour tout le monde, grâce au processus que l’on a expliqué. Jusqu’au dernier opérateur qui sait que l’on prend le village et pas la colline.
Ils connaissent la vision du chef. Ils savent où ils vont et pourquoi ils le font. Si un dirigeant d’entreprise parvient à faire transmettre à ses équipes qu’il sait ce qu’il fait, qu’il sait où il va et pourquoi ses équipes se lèvent le matin, il a gagné ».
Dans quelques jours, la 2nde partie de notre 💡QUESTION DE PERSPECTIVE autour de Guillaume Malkani et Louis Saillans , nous permettra d’évoquer un sujet crucial dans la tactique militaire : la formulation de l’ordre délivré aux équipes sur le terrain, comment transmettre cette vision et cet objectif conjointement, clairement et de manière opérationnelle…