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Question de Perspective 4 – Crise de l’immobilier : doit-on se concentrer sur les villes ?

Crise de l’immobilier : Doit-on se concentrer sur les villes?

Pour ce 4ème entretien de notre dossier 💡QUESTIONS DE PERSPECTIVES, Amaury GASCHIGNARD échange avec Laurent Escobar sur la construction en centre urbain. Est-ce la bonne solution ? Quels arguments permettent de faire concilier décarbonation des villes et augmentation du nombre d’habitants, besoin de logements et capacités foncières ?

Amaury GASCHIGNARD : Laurent Escobar, comment construire demain pour concilier politiquement et humainement les enjeux sociétaux et environnementaux ? Doit-on réellement continuer de construire plus en ville ?

Laurent Escobar : Ma réponse est évidemment oui, et je vais vous l’illustrer. Par l’exemple de La Rochelle, une agglomération suffisamment grande pour comprendre les mécanismes de l’urbanisation, et à dimension moyenne pour que les chiffres parlent à tous. 

Cet exemple a été présenté lors du colloque Organic Cities organisé à Paris en début d’année par le bureau d’études Villes Vivantes . Travaillant comme ADEQUATION depuis près de 10 ans pour la collectivité, dans le cadre de l’élaboration de son PLUi, David Miet et son équipe ont invité, à la demande de la Direction des études urbaines de La Rochelle, Xavier Timbeau , directeur principal de l’@OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et responsable de son Pôle de recherche « Spatial », à plancher sur la détermination des émissions liées l’habitat des ménages de l’agglomération (1). 

Parce qu’il y avait alors, après la crise du Covid et les élections locales, un débat sur les besoins en logements. Pour réduire l’empreinte carbone des habitants, fallait-il moins construire ? Et ne fallait-il pas partager la construction entre les territoires, centre urbain, périphérie, communautés de communes voisines, pour un développement plus harmonieux de chaque polarité, et une moindre pression sur la centralité ? 

Dans le cadre du PLH 2016-2021 (plan local de l’habitat), l’objectif de production avait été déterminé à 1 900 logements par an, en tenant compte du solde migratoire, du desserrement des ménages, du renouvellement du parc (démolitions, transformations d’usage et divisions de logements), de l’’évolution du nombre de logements vacants et de résidences secondaires ; aux deux tiers dans l’unité urbaine centrale (La Rochelle + trois communes limitrophes), le tiers restant dans les communes périphériques. En 2022, la question s’est politiquement posée de baisser la production à 1 200 logements par an, pour moitié seulement dans l’unité urbaine centrale (soit ici deux fois moins).

Pour objectiver la réflexion locale, les travaux de l’équipe de recherche de l’OFCE ont démontré que les émissions liées à l’habitat des ménages se déterminaient selon 3 postes : ses travaux (construction ou rénovation, y compris les dépenses d’entretien et de maintenance sur un cycle de vie de 40 ans), son exploitation (énergie mobilisée pour chauffer, éclairer et ventiler le bien) et ses mobilités induites (entre le domicile et les lieux de travail, de service public, de consommation et de loisir de chaque membre du ménage).

Si le volume d’émissions des travaux et de l’exploitation varie peu selon la localisation, celui lié aux mobilités est par contre très discriminant : pour un ménage de 4 personnes, sur 40 ans, 59% du total des émissions émises s’il habite à la Rochelle, 72% dans une commune de première périphérie (Yves), 79% dans une commune de grande périphérie (Genouillé).

En conséquence, « les émissions globales d’un logement neuf ou rénové pour le ménage étudié à La Rochelle émet 2 fois moins de CO2 sur son cycle de vie qu’à Yves et 2,9 fois moins qu’à Genouillé ». Autrement dit, « construire un logement neuf pour un couple avec enfants à La Rochelle est écologiquement plus vertueux que de rénover un logement à Yves, dès la 5e année ».

L’équipe de recherche a pu tracer un périmètre – sorte d’isochrone de l’empreinte carbone, incluant une dizaine de communes – à l’intérieur duquel les émissions liées à l’habitat des ménages sont inférieurs à 1,6 tonne de CO2 par an par habitant, et au-delà duquel elles sont nettement supérieures ; par exemple 2,8 tonnes à Yves et 4,2 tonnes à Genouillé. A chaque fois qu’on déplace un habitant de l’extérieur vers l’intérieur de ce périmètre, on diminue l’empreinte carbone de l’agglomération ; dans le sens contraire, on l’augmente considérablement. Et quand on localise un habitant à La Rochelle même, ses émissions baissent à 0,5 tonne. 

En s’appuyant sur ces constats, les travaux de recherche ont prouvé aux élus locaux que les mesures correctives qu’ils comptaient apporter aux objectifs du PLH allaient contribuer à augmenter les émissions liées à l’habitat, au lieu de les diminuer comme escompté.

Forts de ces éclairages scientifiques, les élus ont finalement délibéré en faveur d’une augmentation des objectifs de production à 2 100 logements par an, à plus de 70% dans l’aire urbaine centrale, soit 2,5 fois plus que l’objectif réduit à 600 logements qui y fut un temps envisagé. Cela est rendu possible par une intensité plus importante des constructions neuves (un étage en plus), l’accompagnement d’un important volet de réinvestissement urbain représentant 25 à 33% de l’objectif global de production et la densification douce de l’existant : division des parcelles d’habitat individuel, micro-lots abordables, reconfiguration de petites copropriétés, surélévation, etc.

Amaury GASCHIGNARD : Cet exemple de La Rochelle est révélateur selon vous des solutions à appliquer partout en zone urbaine?

Laurent Escobar : Les travaux du pôle de recherche « Spatial » de l’OFCE démontrent que, contrairement aux idées reçues, pour décarboner l’habitat, il faut non pas construire et rénover moins, mais au contraire plus ; à condition de le faire au bon endroit et pendant un long temps – de 30 à 40 ans, selon le rythme admissible –  pour corriger la répartition de la population de l’agglomération, en la recentrant et concentrant progressivement.

Cela se traduit à La Rochelle par une remontée de l’objectif de production à 2 100 logements et non, comme politiquement envisagé, une baisse à 1 200 logements. On peut espérer que les travaux de l’OFCE pourront être conduits sur d’autres agglomérations.

Je ne doute pas du résultat. Il va falloir décider sur un grand nombre de territoires urbains qu’au moins jusqu’à l’horizon 2050, nous devons intensifier la construction au centre des villes pour progressivement rééquilibrer la population entre le centre et la périphérie.

Il nous faut renverser ce que l’on a produit depuis les années 70. Je ne parle pas là de dépeupler la périphérie et la campagne, simplement de rééquilibrer et redensifier les villes. C’est la seule voie, celle de la ville compacte, défendue par les meilleurs urbanistes depuis le milieu des années 2000. 

Il nous faut être solidaires sur ce constat, et en faire un engagement politique sur des dizaines d’années. Il faut arrêter d’être bercé par l’illusion que la problématique du logement pourra être résolue dans la durée courte d’un mandat électif, national ou local. Nous devons résolument l’inscrire dans un temps long, trans-partisan.

Localement, il faut arrêter de faire la politique de la ville du maintenant, et penser l’habitat en quantité et qualité à l’horizon de plusieurs mandats. Comme nous avons sur le faire par exemple à Lyon, dans le milieu des années 90 ; des choix, une politique foncière et de l’habitat, des règlements d’urbanisme successifs et des opérations d’aménagement qui nous ont porté pendant 30 ans. Ceux qui en ont pris l’initiative n’en ont pas tiré un profit politique immédiat, et ceux qui les ont suivi peuvent leur dire merci ; à leur tour de « préparer le terrain » pour ceux qui leur succéderont.

Amaury GASCHIGNARD : La question est selon vous politique …?

Laurent Escobar : Oui, le politique est en partie responsable. Trop de ses décisions sont prises dans le temps court. Nationalement, on règle l’essentiel de la politique du logement dans des lois de finances, en changeant substantiellement les règles du jeu d’une année sur l’autre : du PTZ à ma Prim’Renov, du Pinel au régime fiscal du logement intermédiaire, du régime des de plus-values immobilières aux crédits d’impôt. Localement, on augmente ou pas les taxes foncières, on encadre ou pas les loyers, on charte ou pas la qualité des logements, on vote ou pas des plans de soutien à la construction…

Devons-nous nous contenter de ces « politiques de l’interrupteur », qui coupent ou mettent le courant selon la conjoncture des marchés ? C’est profondément incompatible avec la maîtrise nécessaire pour un logement foncièrement économe et durablement abordable. Il faut avoir le courage de revenir à des décisions de temps long : inscrire les principes fondamentaux dans des lois régaliennes, programmer les politiques locales, foncières, urbaines et de l’habitat sur une trentaine d’années, avoir la sagesse de ne les réviser, les ajuster que tous les 5 à 6 ans…

C’est une question d’existence pour la génération future et de la génération d’après. Les politiques ont du mal à s’en emparer, les acteurs aussi. Malgré de belles initiatives, comme la commission de relance 2021 ou le plus récent CNR logement (Conseil national de la refondation), on n’a pas encore créé les conditions d’y aller collectivement. Comme autant d’occasions et de rendez-vous manqués.

Peut-être parce que la prise d’initiative doit être plus locale, et multiple, dans un élan général de « bottom up ». Parce qu’il faut apprendre à concilier les enjeux sociétaux et économiques à l’échelle de nombreuses opérations dans une pluralité de territoires, avant de pouvoir énoncer les règles générales qui vont pouvoir durablement cadrer nos politiques du logement. Pour un immobilier plus accessible, moins cher et décarboné. Avec une prise en main de la problématique par tous les acteurs du secteur.

(1)    Lempérière, P., Miet, D., Parodi, M., Pouvreau, L., Stulhfauth, V., & Timbeau, X. (2023, April 11). Sur le cycle de vie d’un logement, les émissions de mobilité induites par sa localisation sont très largement supérieures à celles liées aux postes de construction, de maintenance et d’exploitation cumulés [pre-print].

https://publications.vv.energy/la-rochelle-aunis-construction-renovation.html

Qui est ADEQUATION ?

Depuis 1992, ADEQUATION observe et étudie les marchés résidentiels partout en France. Notre métier est celui des chiffres, des tendances. Il nous permet d’observer les facteurs d’explications et de causalité. Comment peut-on sortir de la crise, qu’est-ce qu’il est raisonnable d’imaginer, quel scenario peut nous permettre de reconstruire une offre de logement nationale, locale qui soit suffisante et qui réponde aux besoins ?

Nous travaillons pour les promoteurs, les bailleurs sociaux, les aménageurs, les collectivités, les institutionnels et les opérateurs fonciers. C’est l’ensemble de cet écosystème, avec probablement les Banques, qu’il faut mettre autour de la table pour définir les nouveaux fondamentaux de la fabrique de l’immobilier !