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Question de Perspective 3 – Crise de l’immobilier : quelle solution pour en sortir ?

Quelles solutions activer pour sortir de la crise actuelle ?

Pour ce 3ème entretien de notre dossier QUESTIONS DE PERSPECTIVES, Alexandre FAURE échange avec Laurent Escobar sur les solutions techniques, les montages permettant d’imaginer répondre à la problématique grandissante de la capacité d’achat des ménages en France.

Alexandre FAURE : Laurent Escobar, comment sortir résolument de cette crise actuelle ? Avez-vous des scenarii en tête ?

Laurent Escobar : La condition fondamentale pour sortir de la crise est de mettre véritablement la demande au centre de la conception des offres de logement, tant dans le neuf qu’en rénovation de l’existant, en libre, en social, en location et en accession à la propriété, et tous montages intermédiaires…

Cela semble trivial quand on l’énonce, mais c’est une inversion complète du processus actuel si on y réfléchit à deux fois : il s’agit de remettre le compte à rebours à l’endroit en partant de la charge financière admissible pour chaque catégorie de ménages en besoin, ce aux adresses et dans les environnements correspondant à leur désir d’habiter, avec le bon confort d’usage et une conception adaptée à leur structure familiale et à leur mode de vie. 

Du pur marketing, le produit, le prix, la place, comme n’importe quel autre bien d’usage. En pleine responsabilité sociétale, notamment en essayant autant que faire peu de concerner le plus grand nombre, et de réduire les effets dévastateurs de ségrégation socio-spatiale par le prix.

Partant de là, il faudra adapter et diversifier les montages économiques et juridiques des opérations, pour résoudre la difficile équation de l’amortissement des coûts, fonciers et constructif, par rapport aux charges financières admissibles pour les ménages. On va alors se poser les bonnes questions, en constatant dans la majorité des cas, qu’on ne peut pas faire entrer deux ou trois litres d’eau dans une seule bouteille. On acceptera alors l’idée d’utiliser plusieurs bouteilles, comme une évidence.

Alexandre FAURE : Doit-on accélérer le renouvellement du parc existant pour soulager le marché ?

Laurent Escobar : C’est un enjeu essentiel. Le dispositif Ma Prime’Renov incite les particuliers à assurer la maîtrise d’ouvrage de la rénovation énergétique de leur propre logement en en subventionnant partiellement le coût.

Il offre un levier efficace et suffisant dans une majorité de cas, en maison individuelle et pour les appartements dont le DPE n’excède pas l’étiquette D. 

Au-delà, il s’agit de traiter des immeubles catégorisés en passoires thermiques, nécessitant des travaux lourds et globaux, tant en parties communes qu’en parties privatives, qu’on aurait tout intérêt à réaliser en une seule fois : près de deux millions d’appartements principalement en copropriété, dans les cœurs urbains des métropoles, des villes moyennes, des bourgs et des villages. Alors qu’ils correspondent au besoin le plus urgent de rénovation, ce sont les plus difficiles à opérer, confrontés au coût beaucoup plus important de la rénovation, au morcellement de la propriété et aux éventuelles problématiques de relogement, de plusieurs mois le temps des travaux.

Dans ces cas, est-il réaliste de demander à des copropriétaires de se coordonner et d’investir au minimum 20% de la valeur de leur logement pour rénover complètement leur immeuble dedans et dehors ? Et je parle d’un ratio pour un appartement dans Lyon, ou une métropole comparable. Parlons du ratio pour un appartement au sein des territoires moins tendus, majoritaires, le coût de la rénovation est le même, pour une valeur au mètre carré beaucoup plus faible. Ces copropriétaires, dans leur grande majorité, n’auront pas la faculté d’amortir cet investissement sur leur durée d’occupation et il est très hypothétique – et contraire à nos objectifs sociétaux – de spéculer sur une trop importante plus-value à la revente.

La seule alternative est d’organiser une intervention massive des professionnels ; en organisant localement des groupes de travail coordonnés par la collectivité, pour partager les informations permettant de cibler et prioriser les copropriétés à opérer, et coordonner le jeu d’acteurs à mettre en place pour intervenir : les promoteurs, les marchands de biens, les bailleurs et les constructeurs qui sont prêts à se mobiliser sur ce type d’opérations ; les notaires et les administrateurs de biens en capacité de lever les freins tant juridiques (question des processus d’engagement de décisions régis par le droit de la copropriété) qu’humains (enjeux d’emmener un collectif de particuliers dans une démarche de « co-investissement » et d’obtenir les quorums suffisants pour emporter les décisions).

Il faut aussi les fonds pour le faire. Notre épargne est déjà mobilisée à travers le livret A pour le financement du logement social. Ne peut-on pas imaginer de créer un livret B ou un livret C, pour financer de nouveaux enjeux sociétaux de long terme, qui concernent notre génération, et les générations futures : le zéro artificialisation nette (ZAN), la réduction de notre consommation énergétique et de notre empreinte carbone.

A l’échelle nationale et même à l’échelle locale, si nous décidons collectivement de créer de nouveaux véhicules d’investissement pour financer les opérateurs qui vont aller travailler en rénovation lourde dans le parc existant, nous pourrons avancer.

Qui va s’emparer du sujet ? L’institutionnel dit que ce n’est pas sa priorité faute de ROI suffisant, le bailleur social dit que ce n’est pas son rôle, le promoteur que ce n’est pas son métier… Aucun n’a les clés, ni la motivation, individuellement. La solution ne peut être trouvée que dans une discussion, puis une action collective.

Alexandre FAURE : Cette priorisation de la rénovation va-t-elle amener à construire plus ou moins ?

Laurent Escobar : Il faut comprendre que les rénovations lourdes dont je parle s’assimile à de la reconstruction ; on conserve le clos couvert et on refait plus ou moins tout, de fonds en comble, parties communes et parties privatives.

Il est même souhaitable qu’on divise les plans d’étages pour créer plus de petits logements et de taille moyenne, conforme à la structure majoritaire des ménages d’aujourd’hui et de demain, là où les logements en copropriété ont été progressivement regroupés au cours des décennies précédentes pour s’adapter à la structure des ménages d’hier. Ce qui a été fait dans un sens peut être défait. Nombre d’immeubles anciens ont été initialement conçus pour porter 4 appartements par étages, là où désormais il n’y en a plus que deux.

En fonction des moyens et du rythme que l’on se donne pour rénover ce parc de passoires thermiques en copropriété collective (que nous estimons à 1,5 million de logements), on pourrait atteindre, progressivement en montant en puissance sur plusieurs années, un rythme de rénovation de 50 000 à 100 000 logements par an ; on part de très loin quand on regarde où nous en sommes aujourd’hui ; il est grand temps de s’y mettre.

Par effet de division de grands logements en plus petits, ces 50 000 à 100 000 logements initiaux pourraient peut-être se transformer en 75 000 à 150 000 logements remis sur le marché ; on obtiendrait donc, dans cette hypothèse d’école, 25 000 à 50 000 logements en création nette annuelle.

De quoi répondre, partiellement, au besoin en logement, tant en libre, en intermédiaire qu’en social. Le solde du besoin devra mécaniquement être couvert par la construction neuve, dont il faut favoriser les conditions de relance sur des bases nouvelles. Arrêtons d’opposer réhabilitation et construction neuve ; pour répondre aux besoins, il faudra agir sur les deux leviers.

Il faut comprendre que la réponse aux enjeux du ZAN et de la décarbonation doit passer dans un premier temps par une augmentation du nombre de logements immédiatement disponibles, tant dans le parc existantque dans le neuf dans les cœurs urbains et leur proche périphérie ; cela nécessite, pendant 25 ou 30 ans minimum, une intensification des chantiers sur les polarités et non, comme on l’entend trop souvent, par leur réduction immédiate et importante.

L’essentiel est de remettre les ménages au plus proche des services publics, de leurs lieux de travail, de consommation et de loisir ; pour limiter leurs déplacements et augmenter leur qualité et leur confort de vie. Recentrer progressivement la démographie autour des polarités urbaines, partout en France, autour des métropoles, des villes moyennes, des petites villes et des bourgs, cela ne peut pas se faire pas à parc « iso » ; il faut sur une longue période accroître le volume de logements disponibles aux cœurs, pour favoriser les mobilités et les concentrations. Cela se fera par la construction collective neuve, la réhabilitation lourde d’une partie des copropriétés et la densification douce des parcelles individuelle. Chaque segment doit contribuer pour atteindre l’objectif.

Alexandre FAURE : Mais ce besoin est-il aussi important, n’y a-t-il pas une crise de demande ?

Laurent Escobar : Oui, incontestablement, il y a une crise de la demande, de la demande finançable. La combinaison de la hausse continue des prix depuis plusieurs années et de la hausse brutale et importante des taux d’intérêt, a désolvabilisé plus de la moitié de la demande, tant côté accédants à la propriété que particuliers investisseurs ; la demande des ménages de la classe moyenne, compris entre le 5ème et le 7ème décile de revenus. 

En fonction de leur position et de leurs ressources, ces ménages ont perdu en deux ans entre 50 000 et 80 000 euros de pouvoir d’achat immobilier ; l’équivalent d’une pièce en moins par rapport à leurs besoins. C’est tout simplement cela la crise de la demande. Recréez les conditions de la solvabilité de ces ménages, et leur demande se réalisera à nouveau, elle n’a pas disparu, elle est empêchée.

Est-il raisonnable de penser que les prix de l’immobilier s’ajusteront à une telle hauteur ? Que les promoteurs trouveront les leviers dans les montages d’opérations neuves  pour gagner 1 000 euros/m² sur les prix de sortie TTC, soit à peu près 600 € HT à trouver dans le prix de revient des opérations montées en VEFA, entre le coût du foncier et celui de la construction ? Probablement oui sur quelques « poches », et moyennant beaucoup d’effort et d’ingénierie. Mais un ajustement massif, jamais de la vie. Ceux qui pensent ou spéculent sur le contraire sont ou mal informés, ou utopistes, ou cyniques. 

Pour y avoir beaucoup et longtemps réfléchi, en avoir discuté avec les chercheurs, les analystes et les opérateurs les plus avertis, je pense que la résolution de cette équation inédite ne peut se résoudre dans le rapport que nous avons au logement depuis plus de 50 ans, sur lequel se sont construits les modèles qui ont permis avec efficacité de le produire et de le mettre à disposition. Aujourd’hui, on cherche encore à se conformer à des règles et à des principes qui deviennent mal adaptés à notre société et à notre économie.

Nous avons le devoir de nous réinventer, en commençant par changer notre manière de considérer la propriété. Arrêtons dans notre pays de faire du logement un sujet politique, où la seule promesse acceptable serait celle d’une France de propriétaires. Essayons d’objectiver le débat, d’y apporter des réponses efficaces et concrètes, concernant le plus grand nombre.

Commençons par aborder le logement en simple bien de consommation. Comme nous savons, par exemple, le faire pour la voiture où on accepte collectivement de renoncer au thermique pour le bien commun, et on s’organise pour passer à l’électrique, en réfléchissant aux manières de ne laisser personne au bord de la route, allant jusqu’à l’invention et la subvention du leasing social. C’est difficile, oui. Cela mobilise de gros moyens, oui. Cela ne va pas sans heurt, non. Mais c’est possible et on s’est donné collectivement les moyens d’y croire. Pour le logement, inspirons-nous aussi des pratiques de certains pays voisins – la Suisse, la Belgique, l’Allemagne – ils ont aussi leurs difficultés, mais ils se sont montrés innovants, ont investi depuis plusieurs années dans de nouveaux modèles, sur lesquels ils peuvent déjà faire retour d’expérience. 

Dans ces pays, le politique est beaucoup moins interventionniste ; il a su négocier et poser le cadre, à l’intérieur duquel les acteurs peuvent travailler sereinement, pouvant jouer avec une palette de montages reconnus, avec tout le contrôle et le soutien nécessaires. En France, patrie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le droit à la propriété est toujours pris au pied de la lettre, « inviolable et sacré ». Deux cent trente-cinq ans après, nous pouvons peut-être accepter d’évoluer un peu et d’avoir une interprétation moins rigide de ce texte fondateur : revendiquer le droit universel à la propriété ne peut plus simplement se traduire à la « pleine propriété » comme seul moyen d’y parvenir. C’est une illusion, un leurre et une facilité. S’en contenter, c’est exclure le plus grand nombre en les condamnant à la location à perpétuité.

Arrêtons de faire rêver les gens, changeons de discours et faisons-nous confiance : les mentalités et les points de vue, forgés par plusieurs générations de « pensance », évolueront vite face à la preuve de la nécessité. Dans quelle situation sommes-nous ? Celle d’un logement devenu inaccessible parce qu’il coûte trop à produire ou rénover. Celle d’une société où les ménages ne bougent plus, car déménager c’est trop cher ; pour beaucoup, changer de logement devient un facteur de déclassement social. Difficile à comprendre alors que pour quatre générations – les baby-boomers, les X, Y et Z -, jusqu’en 2010, cela a été exactement l’inverse : le logement, c’était l’ascenseur social.

Aujourd’hui, au cœur des métropoles et des marchés littoraux les plus tendus, en zones A et B1, où se concentrent l’essentiel du marché de la promotion immobilière, il n’y a plus que les 30 % des revenus les plus élevés qui puissent – aux taux et prix actuels –devenir pleinement propriétaires de leur logement ; en capacité de se voir accorder un crédit, en s’endettant sur 25 ans à 30 % de leurs revenus, avec un apport personnel d’au moins 10%. Les primo-accédants et les « mono-investisseurs », ça n’existe plus, et pour longtemps.

Doit-on ne plus répondre à cette demande, qui était jusqu’à peu la clientèle principale du logement neuf ? Peut-elle se diriger vers d’autres offres, dans un parc existant où l’offre à la revente générée par la rotation s’est tarie, un parc social sur liste d’attente, ou sur des communes de grande périphérie dont on cherche à limiter l’étalement urbain ? Ne peut-elle plus aspirer qu’à être toute sa vie locataire dans le secteur libre, dans un parc désormais aussi sous très grande tension ? A cette demande-là, aux nouvelles générations, ne faut-il pas proposer un modèle hybride, entre propriété et location, qui permette de ne pas payer des loyers qu’à fonds perdu ?

Alexandre FAURE : Vous questionnez alors le modèle même de la propriété immobilière?

Laurent Escobar : Oui, résolument. Tel qu’on le comprend depuis près de 80 ans. La vraie résolution de la crise commence par la remise en question du modèle de la propriété immobilière résidentielle. Quand en 1946, le politique a mis en place la retraite par répartition, il a créé en parallèle les conditions pour la majorité des ménages de capitaliser par acquisitions successives dans le logement, au fur et à mesure de son avancée dans la vie. Progrès social et parcours résidentiel ascendant ont porté les classe moyennes des 30 Glorieuses, et des presque 50 ans qui ont suivi, avec la promesse d’une vie de senior assurée.

Ce mécanisme « ascensionnel » est un des ressorts et des ciments de notre société « à la française ». Il faut admettre aujourd’hui que ce ressort est cassé : être propriétaire pleinement de son toit, c’est obsolète. Pour autant, il ne peut être question de renoncer aux vertus de la constitution progressive d’un capital et d’un statut social par le logement. Il faut simplement des manières de le faire autrement.

Aujourd’hui, si on demande à un jeune en ville s’il veut être propriétaire, il dira « oui » en première intention, parce qu’il sait et qu’on lui a rabâché que c’est comme cela que ses parents, ses grands-parents ont « réussi ». Mais il comprend vite, dès la première recherche, qu’il ne peut pas et ne pourra jamais, ou avant longtemps.

La discussion s’arrête là  ? Et bien non, elle commence ! Alors je ne peux pas être propriétaire, je deviens quoi, genre ? Chercher à répondre à cette question existentielle, c’est commencer à résoudre la crise matérielle du logement.

La réponse est sous notre nez, et on propose déjà de bons montages à d’autres catégories d’ « habitants » ; l’immobilier est devenu depuis longtemps un bien d’usage pour les personnes morales, dans le commerce, dans l’hôtellerie, dans la logistique, dans le tertiaire… Pourquoi faudrait-il que cela soit différent dans le logement ?

Alexandre FAURE : Quel montage hybride peut-on imaginer ?

Laurent Escobar : Il faut d’abord présenter le sujet comme une alternative à la location, et non à la propriété. C’est très important de remettre la proposition dans le bon ordre, sinon on n’adresse pas les bons publics, on se trompe vite de sujet et de débat, et on apporte de la confusion, plutôt que la clarté et l’évidence.

Comment, en partant de mon statut de locataire, avec la charge financière très admissible que cela représente, je peux en même temps me constituer un capital, cessible et transmissible, qui se valorise suffisamment dans le temps ?

Pour cela, il ne faut plus considérer le logement comme étant l’empilement vertical de trois éléments – le sol, les murs, l’usage – ne constituant qu’un tout, détenu par un propriétaire unique, bailleur ou occupant.

Les montages qui permettront une réponse massive à la demande qu’on ne peut plus satisfaire en pleine propriété, tant dans l’existant que dans le neuf, doivent systématiquement intégrer une dissociation ; non simplement en deux (foncier / bâti, usufruit / nue-propriété) comme on s’essaie déjà à le faire avec un impact limité, car l’effet de levier de la dissociation n’est alors pas (plus) suffisant. Mais donc en trois : un porteur pour le sol, un porteur pour les murs et l’habitant propriétaire de son usage.

1. Capitalisons des outils de portage long pour le foncier urbain.

Probablement des foncières d’économie mixte ; un peu sur le modèle des EPF ou des OFS, mais avec un capital ouvert. Ou sur celui du financement des infrastructures de transport, de réseaux ou de stationnement, pourquoi pas dans le régime de la concession.

Elles pourraient appeler des fonds tant publics que privés, et des financements long terme ; garantis par des produits appelant l’épargne des particuliers, très sécurisée et peu rémunérée, comme un « livret B », en lui donnant un sens social et générationnel au moins aussi fort que celui de « livret A ».

Ces foncières détiendraient le foncier et percevraient des redevances différemment proportionnées, versées par les détenteurs des murs et les détenteurs d’usage. Un dispositif juridiquement facile à mettre en place e déjà éprouvé dans le neuf, plus complexe au service de la réhabilitation lourde des copropriétés devant muter ; je ne doute pas que le notaire saura conseiller le montage en division le plus adapté selon le cas. 

2.  Concentrons l’investissement des personnes morales dans les seuls murs. Qu’il soit social ou institutionnel, l’investisseur aura plus de facilité à atteindre son ROI si son investissement ne porte que sur le clos couvert, le foncier étant sorti ; comme c’est déjà souvent le cas dans l’immobilier non résidentiel.

L’institutionnel se financera classiquement sur 25 à 30 ans. Il encaissera des redevances de la part des occupants. La redevance ne portant pas sur le principal dû par l’occupant, le recouvrement en sera facilité et les risques d’impayés diminués, par rapport à des loyers classiques. Les dépenses d’entretien, majoritairement liées à l’usage, seront très limitées, subsisteront périodiquement les grosses réparations.

Le bailleur social pourra adopter les mêmes modalités, dans le cas de montages en BRS ou en PSLA, facilitant l’accession à la propriété des occupants. Et il continuera à appeler les prêts Gaïa sur 50 à 60 ans pour financer le patrimoine locatif social, dont il détiendrait alors les murs et l’usage. Cela au juste prix – en maîtrise d’ouvrage directe ou en VEFA – sans plus aucun effet de péréquation (ou presque) avec le logement libre.Rien n’empêche également le bailleur social de ne détenir que l’usage, le clos couvert étant porté par un autre institutionnel ; économiquement, cela offrirait au bailleur social à peu près les mêmes leviers que l’usufruit locatif social (ULS), sans la durée déterminée imposée par la reconstitution du patrimoine du nu-propriétaire. Ce serait probablement un bon moyen de développer durablement du logement locatif social et locatif intermédiaire en mixité dans les immeubles de logements libres, neufs ou existants. 3. Réservons la propriété de l’usage à l’occupant ; ou au bailleur professionnel, social ou non, qui voudra le promouvoir auprès de sa clientèle locative.

L’occupant – ou le bailleur, personne morale ou physique, en cas d’investissement locatif – ne se financera que sur l’usage, dont il détiendra les droits réels, cessibles et transmissibles.

Dans le cas d’un bail réel solidaire (BRS), la plus-value sera toujours réglementée, indexée sur la progression de l’IRL (loyers) ou de l’ICC (coût de la construction), en contrepartie de prix de droits réels et de redevances plus abordables.

Dans les cas les plus tendus, où la simple dissociation foncière proposée par l’OFS ne suffit plus à « passer » au bon prix pour l’occupant final, le maître d’ouvrage trouvera sûrement un meilleur levier si le clos couvert fait également l’objet d’une dissociation, avec alors un système de double redevance. 

Evidemment, ce dernier montage doit être étendu au-delà des seuls OFS et du cadre du BRS, avec plusieurs strates de positionnement (par exemple, 3 ou 4 en fonction des déciles de revenus des ménages à concerner) dans des conditions de prix initiaux des droits réels, de montants de redevance et de modération des prix de revente qui doivent être définies ; certaines réglementairement, dans l’esprit du BRS, quand le public (Etat ou collectivité) est très impliqué dans le portage financier, d’autres contractuellement, dans les cas de portage majoritairement porté par le privé.

Dans le cas d’un ménage occupant titré sur l’usage, la contrainte que l’on doit s’imposer dans la mise en œuvre de cette triple dissociation, c’est qu’au total la charge mensuelle  – remboursement + redevances – n’excède pas le montant d’un loyer libre.

Si on regarde les chiffres, le remboursement d’emprunt sur 25 ans – aux taux actuels – pour que le ménage se titre sur l’usage représenterait environ la moitié d’un loyer. Ce qui revient à dire qu’avec ce montage, on permet à l’occupant de ne plus verser l’intégralité de son loyer à fonds perdu ; mais de capitaliser systématiquement sur la moitié

Ensuite, pour recomposer l’intégralité de la charge, la redevance foncière devrait peser entre 15 et 20% d’un loyer, et la redevance pour le clos couvert 30 à 35%.

Pour le prix d’un loyer, l’occupant est propriétaire de l’usage et capitalise 50 % de la somme mensuelle qu’il consacre à son logement. Et il peut aussi épargner en complément, s’il le souhaite et en fonction de ses moyens, au même titre que les générations déjà installées, soucieuses du logement de leurs enfants, dans les placements financiers qui vont aider à porter les 20 et 30% des sols et des murs : dans le « livret B » garantissant le financement des foncières et/ou les véhicules d’investissement que créeront les institutionnels pour acquérir et gérer les clos couverts. 

Est-ce que la nouvelle génération est prête entendre cela ? Je pense que oui ! Pour l’instant ils ont le choix entre être locataires et être locataires. Là, on leur propose une bonne et nouvelle manière de se constituer progressivement un capital par leur logement, tout en habitant immédiatement – et pas peut-être dans 10 ou 15 ans – le bon logement, au bon endroit avec les bons services.  De quoi retendre, pour la majorité, le ressort de l’ascenseur social par le logement.

Pour y parvenir, il faudra d’abord un changement de mentalité et le courage d’essayer à une suffisamment grande échelle ; plusieurs collectivités pourraient être motivées pour en faire un axe de leur politique de l’habitat, concertée avec les habitants et les acteurs.

Dans un processus d’accompagnement, viendra ensuite le temps des réformes législatives et fiscales portées par l’Etat. Sur ce sujet, je ne crois pas que la « vérité » se décrète dans haut. C’est aux acteurs et aux territoires de prendre les initiatives et d’ouvrir les voies ; la majorité des outils juridiques permettant de mettre en œuvre ces montages existe dans le droit français, ainsi que les moyens financiers et les expertises « métiers ». C’est une manière différente de les mettre en œuvre et de collaborer autour de projets.

La gestion de la complexité n’est perçue que des professionnels à mobiliser. Pour le client final, les choses seront simples et évidentes : j’habite au mieux de mon confort de vie, en commençant par capitaliser au moins la moitié de l’argent consacré à me loger.

Il nous faut inventer des dispositifs qui pèsent. Les montages dissociants, dont le BRS, n’alimentent une offre que de quelques milliers de logements chaque année ; une fois atteint leur rythme de croisière, ils pourront probablement alimenter une offre comprise entre 15 000 et 20 000 logements par an. C’est bien pour les objectifs très circonscrits dont ils se sont saisis, mais totalement insuffisant si on regarde l’ensemble du besoin. Dans ce cas, il faudrait plutôt viser à moyen terme – après une phase de montée en puissance – les 100 000 nouveaux logements offerts par an, pour partie en neuf, pour autre partie en restructuration de l’existant. Et tenir ce rythme sur au moins 25 à 30 ans, jusqu’à atteindre au moins 10% du parc national de logements.

Alexandre FAURE : Pouvez-vous nous donner un exemple, pour mieux comprendre l’intérêt de cette triple dissociation pour un ménage ?

Laurent Escobar : Prenons très simplement le cas d’un ménage correspondant au 6ème décile de revenus dans une grande métropole régionale ; deux adultes, 35 ans et un enfant ; gagnant 3.000 euros par mois. On est déjà dans le haut de la classe moyenne.

Fin 2021, avec des taux alors de 1,4% hors assurances sur 25 ans, avec des mensualités de remboursement de 1 000 € et un apport personnel, ce ménage pouvait se financer en collectif neuf sur un T3 de 64,5 m² à 342 000 €. Au prix moyen de 5 300 €/m².

Fin 2023, avec des taux désormais à 4,2% hors assurances sur 25 ans, pour la même capacité maximum de remboursement de 1 000 € par mois et la même quote-part d’apport personnel, ce même ménage ne peut plus financer un projet qu’à hauteur de 284.000 €, pour un T2 de 48 m² au prix moyen de 5 900 €/m².

En deux ans, il a perdu 58 000 € et une pièce (12 m²) de pouvoir d’achat.

Sur ce même marché du neuf, les T3 sont toujours à 342 000 €, mais à un prix moyen passé de 5 300 à 5 700 €/m², pour une surface « compactée » de 64,5 à 60 m² ; ce prix n’est désormais accessible qu’aux ménages au-delà du 7ème décile, gagnant plus de 3 600 € par mois et capables de soutenir des mensualités de 1 200 €.

Même démonstration, pour les T2 et les T4, les déciles concernés et finançables en 2021 perdent une pièce, et le logement visé initialement n’est accessible qu’au décile supérieur. 

L’effet « hausse des prix » ne pèse que 25% de la désolvabilisation, l’effet « hausse des taux » 75%. Cela permet de bien relativiser l’impact d’une éventuelle correction des prix sur la résorption de la crise de la demande. Même si ce mouvement de correction est souhaitable, au bout du compte, le problème restera entier.

Et dans le neuf, il faudrait aller chercher 1 000 €/m² de baisse des prix (-17%) pour resolvabiliser le ménage gagnant 3 000 € par mois sur un T3 dont le prix aurait pu hypothétiquement être baissé de 342 000 à 284 000 € !

Comme je l’ai déjà dit, 1 000 €/m² de baisse sur un prix de vente TTC, c’est 600 € HT environ d’économies à trouver dans le prix de revient de l’opération. Que fait-on ? On met le foncier à zéro, ou on ne finit la construction qu’à hauteur de 75% ? C’est l’ampleur de ce qu’il faudrait faire pour trouver les 600 €… Admettons que c’est impossible. C’est l’évidente démonstration que le montage en pleine propriété n’est plus adressable sur la classe moyenne dans ce type de marché : on parle de l’Île-de-France, de la Métropole de Lyon, du Franco-Genevois, de la Métropole d’Aix-Marseille, de la Côte d’Azur et de Montpellier Métropole ; le marché des 6 autres métropoles régionales est en chemin, et n’a fait qu’une bascule partielle dans cette problématique, là où les six premières ont basculé globalement.

Dans l’hypothèse d’un montage en triple démembrement, on pourrait consacrer pour une charge mensuelle de 1 000 € pour un T3 de 60 m² (aujourd’hui l’équivalent d’un loyer) :

1.    15% pour le foncier, soit 150 € ; servant une redevance de 2,5 €/m²/mois

2.    35% pour le clos couvert, soit 350 € ; servant une redevance de 5,8 €/m²/mois

3.    50% pour l’usage, soit 500 € ; permettant au ménage de se titrer sur 142 000 €»

Cette acquisition de l’usage pour 142 000 € est à mettre en face pour le promoteur des près de 900 € HT/m² du poste « finitions » du coût de construction, pour passer du clos couvert au logement habitable, parties communes finies, et de services additionnels au logement.

La redevance de 5,8 €/m²/mois doit permettre l’amortissement de 1.100 € HT/m² pour le clos couvert, hors infrastructure, par l’institutionnel, financés sur une durée de 25 à 30 ans.

La redevance de 2,5 €/m²/mois doit permettre l’amortissement du portage foncier, et probablement d’une bonne part des infrastructures, à hauteur de 900 € HT/m² financés sur une durée de 50 à 60 ans.

Cette décomposition n’a que valeur d’exemple pour illustrer le champ des possibles et en illustrer le principe. Chaque opération aura sa réalité avec des proportions différentes. Et toutes les opérations ne pourront malheureusement pas entrer dans ce processus. Mais il faut travailler pour que la majorité puisse l’être, à commencer dans les marchés cités.

Alexandre FAURE : Qui peut prendre en main cette révolution et porter la propriété des murs et des sols telle que vous la décrivez ?

Laurent Escobar : « On devrait compter en priorité sur les institutionnels et les mettre au cœur du dispositif, tant pour la capitalisation des foncières que pour la création et la gestion des véhicules d’investissement dans les murs.

Mais ils partent de loin : en France, ils ne détiennent que 3% du parc locatif libre, moins de 1% du parc de résidences principales. Situation atypique par rapport aux pays voisins ; en Allemagne par exemple, le parc locatif détenu est 10 fois plus important.

Pourtant, en 1992, ils détenaient 13 % du parc locatif privé français, les 650 000 logements d’alors ne représentant plus que 200 000 logements, 25 ans plus tard. Ils ont pour l’essentiel vendu à la découpe aux particuliers, et réinvesti massivement dans l’immobilier à vocation économique, bureaux, commerces et logistique. Depuis le point bas mesuré en 2017, le patrimoine institutionnel est un peu remonté, de quelques 100 000 logements, principalement grâce à l’émergence du locatif intermédiaire.

Difficile de faire revenir les institutionnels dans le monde de la propriété résidentielle tel qu’il est organisé aujourd’hui en France, où ils ne peuvent réaliser leur modèle économique. Par contre, en passant « derrière le rideau », dans les modalités que j’essaie ici d’esquisser, ils ont meilleure chance d’atteindre les rendements souhaités en conservant des valorisations à terme attractives. De quoi les motiver, je l’espère, à créer les conditions d’un investissement massif, des fonds qu’ils gèrent pour leur compte et celui de tiers, jusqu’à l’épargne individuelle.

En bientôt 40 ans, aidés en cela par les dispositifs d’incitation fiscale, ce sont donc les particuliers qui ont porté l’essentiel du développement du parc de logements locatifs neufs (en volume, 5 à 6 fois plus que les institutionnels jusqu’en 2020 dans les opérations de promotion immobilière, et seulement 2 fois plus depuis que les conditions financières et bancaires leur sont moins favorables).

Partant d’un point déjà haut aux débuts des années 90, leur prépondérance dans la détention du parc d’appartements locatifs libres n’a fait que s’amplifier. Et ce, en mixité avec les propriétaires occupants dans les copropriétés. Loin de se passer des investisseurs particuliers, comme certains le préconisent, c’est au contraire eux qu’il faudra intéresser et sur lesquels qu’il faudra s’appuyer pour gagner les majorités dans les conseils, et permettre l’action de rénovation globale et de réallocation des différents droits de propriété (foncier, murs, usage) par les opérateurs professionnels.

C’est également leur épargne qu’il va falloir réorienter pour une première partie vers les nouveaux véhicules de portage des clos couverts montés et gérés par les institutionnels, et pour une seconde vers l’acquisition de droits d’usage pour renouveler, de manière inédite, l’offre locatif libre dont une part importante des ménages continuera à avoir besoin.

In fine, cohabiteront dans les immeubles concernés, neufs et complètement rénovés, dans les cœurs urbains, des pleins propriétaires, des détenteurs de droits d’usage et des locataires. Trois statuts d’occupation devront être promus et admis à l’avenir, et non seulement deux comme jusqu’à aujourd’hui.

C’est une des clés – pas la seule, mais essentielle – pour relancer la  fabrique du logement. La réformer est une urgente nécessité parce que les besoins sont là, toujours importants mais plus difficiles à servir. Il faut que les acteurs s’accordent pour y répondre de manière différente et collectivement : opérateurs fonciers, aménageurs, promoteurs, bailleurs sociaux, institutionnels, marchands de biens, entreprises de bâtiment, syndics, notaires, banquiers… Il est vital pour l’industrie qu’ils constituent d’arrêter de travailler chacun dans son silo, d’innover et de prendre l’initiative ensemble. Et il est tout aussi vital d’aider nos concitoyens à retrouver des parcours résidentiels et de vie positifs. 

Qui est ADEQUATION ?

Depuis 1992, ADEQUATION observe et étudie les marchés résidentiels partout en France. Notre métier est celui des chiffres, des tendances. Il nous permet d’observer les facteurs d’explications et de causalité. Comment peut-on sortir de la crise, qu’est-ce qu’il est raisonnable d’imaginer, quel scenario peut nous permettre de reconstruire une offre de logement nationale, locale qui soit suffisante et qui réponde aux besoins ?

Nous travaillons pour les promoteurs, les bailleurs sociaux, les aménageurs, les collectivités, les institutionnels et les opérateurs fonciers. C’est l’ensemble de cet écosystème, avec probablement les Banques, qu’il faut mettre autour de la table pour définir les nouveaux fondamentaux de la fabrique de l’immobilier !