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Question de Perspective 2 –  Crise de l’immobilier : l’impact des taux d’intérêt

Crise de l’immobilier : Et si les taux baissaient, sortirions-nous de la crise?

Pour ce 2ème entretien de notre dossier QUESTIONS DE PERSPECTIVES, Nathalie BAILLY échange avec Laurent Escobar, dirigeant d’ ADEQUATION sur cette question des taux d’intérêts bancaires qui semble bloquer tout un marché.

Nathalie BAILLY : Laurent Escobar, et si nous abaissions soudainement les taux, sortirions-nous immédiatement de la crise ? Devons-nous reporter la « faute » sur ces taux multipliés par 4 en deux ans ?

Laurent Escobar : Nous sommes autour de 4,0%, qui peut penser que ce taux est haut ? Les taux d’emprunt sur 20 ans sont effectivement montés d’un point très bas de 1,0% fin 2021 à 4,2% fin 2023. Pour se consolider autour de 4,0% aujourd’hui. Nous sommes probablement revenus à un niveau de taux « normal ». Comparable à celui de 2004, de 2009, de 2011, années où ils se vendaient plus de 100 000 logements neufs au détail.

Entre 2014 et 2021, la BCE a baissé progressivement ses taux directeurs, pour soutenir l’économie et l’investissement. Les taux de crédit immobiliers ont continuellement baissé sur cette période, de 3,3% à 1%. Cela nous a collectivement encouragé à organiser un financement de la production du logement très « opportuniste », que seul ce coût de l’argent exceptionnellement bas a rendu possible. Et il était probablement « malin » de saisir alors cette occasion. Une grande partie du développement du logement social financé par le logement privé, en mixité dans les opérations de promotions immobilières ; et ce logement privé à prix de plus en plus haut, doublement soutenu par des dispositifs de défiscalisation puissants et par des taux très bas. Mais quand vous stoppez tout, quand vous rabotez les dispositifs fiscaux, remontez les taux à un niveau correct, c’est un choc.

Qui se souvient de la période de taux à plus de 9% dans la fin des années 80 et au début des années 90 ? Des taux qui ont principalement fluctués entre 4 et 5% entre 2002 et 2012, et ne sont descendus que deux brèves fois sous la barre des 3,5% sur cette décennie.

Les acteurs de l’immobilier, tant publics que privés, ont pu bon an mal an, sur cette longue période de 20 ans, entre 1992 et 2012, développer la production de logements neufs dans tous ses segments – libre, intermédiaire, social – dans un équilibre relatif et acceptable. Depuis 10 ans, chacun a été tenté (invité ?) à pousser les curseurs plus loin, probablement trop loin. Nous savons tous que l’on a irrémédiablement artificialisé la chaîne du logement et nous en portons la responsabilité collective.

Nathalie BAILLY : Quels sont les mécanismes en cause ?

Laurent Escobar : Nous avons complexifié et amplifié les effets de péréquation. Si l’on regarde bien, c’est le logement libre qui, par effet de chaîne, finance tout. De quote-part en quote-part, d’abord le logement social, puis le logement intermédiaire, puis l’accession à prix maîtrisé, puis le BRS (bail réel solidaire), puis les commerces en pied d’immeubles, puis les services de proximité, puis les stationnements,… Et c’est sur le crédit contracté par le premier propriétaire acquéreur, sur une durée de détention relativement courte, que l’ensemble de cette « chaîne » se finance pour partie. Ce modèle se voulait équitable, mais l’est-il vraiment ? Ne sont-ce pas au final les ménages de la classe moyenne qui portent principalement le financement de la production nationale de logements neufs ? N’est-ce pas un modèle économique extrêmement fragile, poussé à l’extrême jusqu’à l’absurde ? 

Tout ce qui maintenait ce « château de cartes » n’est désormais plus soutenu. Cela se fait brutalement, c’est très regrettable, et cela va durer longtemps. Nous sommes donc contraints de « revenir aux fondamentaux », et de nous attaquer aux problèmes structurels, qui ont émergés dès 2008 et n’ont pas été fondamentalement traités depuis 15 ans. Ils étaient déjà alors très importants, et n’ont malheureusement fait que s’amplifier depuis.

L’essentiel des investissements dans le logement doivent être portés dans le temps moyen et dans le temps long, pour la régénération et le renouvellement d’un patrimoine vital et essentiel. C’est à la fois un enjeu individuel, et un enjeu collectif, auquel chacun – particuliers, opérateurs, bailleurs, collectivités, Etat – doit contribuer à la juste mesure. Chacun avec un modèle économique viable, limitant au maximum les effets de péréquation. 

Si on ne s’active pas à « détricoter » notre système et à poser les fondements de nouveaux, la situation de blocage perdurera. C’est la condition essentielle de sortie en crise.

Nathalie BAILLY : La chute des prix dans l’ancien peut-elle relancer le marché ?

Laurent Escobar : La baisse des prix dans l’ancien est déjà en route. Mais nous ne méprenons pas : suivant les marchés, les quartiers, ce sera pour revenir à ce que les prix étaient juste « hier ». Ou au mieux « avant-hier ».

Hormis sur certains territoires particulièrement déprimés, ou certains immeubles particulièrement obsolètes, sur le « gros du marché », il n’y aura pas de baisse des prix au-delà. A titre de comparaison, selon les indices de l’INSEE, la dernière « baisse » significative des prix de l’ancien a eu lieu en 2015 : -2,8 % en zone A, -2,3% en zone B1. Puis, en sept ans jusqu’en 2022, ils ont respectivement augmenté sur ces zones de 28,7% et 39,6%. En 2023, ils ont baissé de 1,4% en zone A et de 1,9% en zone B1. Même si cela s’accentue en 2024, peut-on parler de chute ? Ou plutôt de simple ajustement.

Par contre, en corollaire de ces « ajustements », on constate surtout une baisse importante du volume de transactions : -22% en 2023 à l’échelle nationale. Et une prévision de -10% supplémentaires pour 2024. Pourquoi ? La majorité des vendeurs ne sont pas ennemis de leurs propres intérêts ; ils préfèrent attendre que les prix se stabilisent dans un premier temps, puis reprennent leur cours à la hausse.

Et dans le neuf, les prix ne baissent jamais, au mieux marquent-ils un  palier de temps en temps ; car ils sont la résultante d’une équation économique dont les principales composantes sont le foncier et le coût de construction, tous deux en hausse constante, quelle que soit la conjoncture de marché.

En attendant, les parcours résidentiels se bloquent : pénurie d’offre dans le neuf, attentisme dans l’ancien, tension extrême sur les marchés locatifs, tant sociaux que libres, où les rotations ne s’effectuent plus. Chacun reste chez soi ! Tant pis pour ceux qui arrivent sur le marché du logement ou ont nécessité de déménager pour des raisons professionnelles ou familiales. Pour un logement plus petit ou plus grand, selon les parcours de vie, de plus en plus décomposés puis recomposés.

Dans ce contexte qui dure depuis une quinzaine d’années, où les prix montent de manière importante, ne faiblissant que rarement et pas longtemps, entretenus par un volume d’offre trop souvent insuffisant, changer de logement pour la majorité des ménages des classes modestes et moyennes, en particulier les générations les plus jeunes, devient un facteur de déclassement social. Si je déménage, rapporté à mon nouveau salaire, la charge de mon logement va relativement augmenter. Tout le contraire, de ce que les générations précédentes – dont nous sommes – ont connu.

Le logement ne joue plus son rôle d’ascenseur social, où une majorité des ménages accédait à un logement de plus en plus confortable, en améliorant sa capacité d’apport par achats successifs, et se constituait ainsi sa principale épargne cessible et transmissible. Pour les nouvelles générations, en l’état, l’accession devient la « machine à perdre », ou « l’inaccessible rêve » ; nous sommes en train de les condamner à être éternellement locataires. N’avons-nous pas la responsabilité de remettre cet ascenseur à l’endroit ? En inventant de nouvelles mécaniques ?

Qui est ADEQUATION ?

Depuis 1992, ADEQUATION observe et étudie les marchés résidentiels partout en France. Notre métier est celui des chiffres, des tendances. Il nous permet d’observer les facteurs d’explications et de causalité. Comment peut-on sortir de la crise, qu’est-ce qu’il est raisonnable d’imaginer, quel scenario peut nous permettre de reconstruire une offre de logement nationale, locale qui soit suffisante et qui réponde aux besoins ?

Nous travaillons pour les promoteurs, les bailleurs sociaux, les aménageurs, les collectivités, les institutionnels et les opérateurs fonciers. C’est l’ensemble de cet écosystème, avec probablement les Banques, qu’il faut mettre autour de la table pour définir les nouveaux fondamentaux de la fabrique de l’immobilier !